Complexité
La complexité est un concept philosophique travaillé et popularisé par le sociologue et philosophe français Edgar Morin. La pensée complexe qui en découle est utilisée tant dans les sciences qu'en management et peut représenter une clé importante pour comprendre et agir dans le monde actuel.
« Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin élémentaire du mot "complexus", "ce qui est tissé ensemble". Les constituants sont différents, mais il faut voir comme dans une tapisserie la figure d’ensemble. Le vrai problème (de réforme de pensée) c'est que nous avons trop bien appris à séparer. Il vaut mieux apprendre à relier. Relier, c’est-à-dire pas seulement établir bout à bout une connexion, mais établir une connexion qui se fasse en boucle. Du reste, dans le mot relier, il y a le "re", c’est le retour de la boucle sur elle-même. Or la boucle est autoproductive. À l’origine de la vie, il s’est créé une sorte de boucle, une sorte de machinerie naturelle qui revient sur elle-même et qui produit des éléments toujours plus divers qui vont créer un être complexe qui sera vivant. Le monde lui-même s’est autoproduit de façon très mystérieuse. La connaissance doit avoir aujourd’hui des instruments, des concepts fondamentaux qui permettront de relier1. »
Dans un système, la complexité s'oppose donc au compliqué de telle manière:
Système compliqué | Système complexe |
---|---|
Un système compliqué peut être reproduit exactement, moyennant les compétences et les ressources | On ne peut jamais reproduire exactement un système complexe |
On peut comprendre parfaitement un système compliqué à un moment donné | On ne peut jamais complètement comprendre et connaître le système complexe |
Dans un système compliqué, une cause donnée amènera toujours un effet donné et prévisible | Dans un système complexe, une cause donnée n'aura pas toujours le même effet |
Pour expliquer la différence entre les deux, on utilise souvent l'image de l'avion et du nuage. L'avion est compliqué, car moyennant les plans et les ressources, on peut reproduire maintes et maintes fois le même avion. De plus, si quelque chose va mal dans l'avion, on peut diagnostiquer précisément quelle pièce du système fait défaut et la remplacer. Le nuage quant à lui est complexe: impossible de le reproduire exactement ou de prévoir son évolution ou ses réactions aux stimuli extérieurs. Par contre, le système complexe qu'est l'avion peut nous permettre de traverser le nuage complexe.
Les principes de la pensée complexe
Edgar Morin nous invite à développer une pensée complexe pour appréhender le monde et la connaissance. Pour lui, la pensée complexe est:
...une tentative pour aider les gens à comprendre ce qu'ils appellent complexe. Elle nous éclaire sur la connaissance qui est un phénomène, dont nous avons besoin pour prendre des décisions, affronter la vie dans tous les domaines. Car le plus grand risque, dans la vie, c'est de se tromper dans ses choix. C’est pourquoi la pensée complexe elle, lutte contre l'erreur et l'illusion
La pensée complexe demande de complètement reformater nos manières de penser et d'agir, c'est donc un changmeent de paradigme qu'il faut opérer. Notre culture fait constamment force de cloisonnements, de divisions entre les secteurs, les classes, les savoirs. La pensée complexe demande un reformatage complet de cette culture.
Cette pensée peut être présentée par une série de principes2. Ces principes peuvent être proposés entre deux thématiques:
Les liens et les systèmes
- L'irréductibilité
- La dialogique
- L'hologramme
- La récursivité
La notion d'incertitude
- La stratégie plutôt que la tactique
- Le pari
- L'autocritique, l'apprentissage stratégique
Les liens et les systèmes
Comme l'explique Morin, complexité signifie tisser des liens. Il importe donc avant tout de créer des ponts entre les secteurs (intersectorialité) et les disciplines (transdisciplinarité). Il s'agit aussi de travailler le rapport à l'altérité (ce qui est autre, différent de soi), tant individuellement que collectivement.
Ce principe peut faire le pont entre la pensée complexe et l'engagement inclusif, qui est une des cinq composantes de l'impact collectif.
L'irréductibilité
D'une part, Morin rappelle que le tout est plus qu'une somme de ses parties. Un groupe, par exemple, est plus fort que les individus qui le compose. C'est ce que la théorie des systèmes appelle une émergence.
Pourtant, les part d'un tout possèdent aussi des capacités que le tout n'a pas. Par exemple, un groupe, par sa culture, sa structure, peut inhiber certaines qualités des individus qui le composent.
Il est donc mal jugé de définir un groupe en fonction de quelques unes de ses parts, mais également de définir un acteur ou un individu en fonction d'une de ses caractéristiques. Par exemple, un humain n'est pas réductible à son âge, son sexe, sa classe sociale, etc. En développement collectif, cela invite à éviter de centrer le travail sur les groupes d'âge (jeunesse, séniors/personnes âgées), qui a tendance à réduire une partie de la population à une caractéristique, voire une problématique.
La dialogique
La pensée complexe invite d'abord à échapper à la pensée binaire. Cela signifie accepter l'existence de paradoxes. De ce point de vue, deux vérités peuvent tout à fait être contraires et vraies en même temps. Morin donne l'exemple de la physique ou un électron peut à la fois être une onde et de la matière à la fois.
Aussi, une situation peut être bonne et mauvaise à la fois. Une force peut également être une faiblesse pour une organisation à la fois. Ces idées, apparemment opposées, doivent être reliées, mises en dialogue pour avoir une lecture qui respecte la complexité des situations.
L'hologramme
Autre principe proposé par Morin, l'hologramme propose que la partie est dans le tout, mais que le tout est également dans la partie. En biologie, par exemple, l'humain contient l'humanité dans son code génétique, mais l'humanité contient l'humain.
La pensée complexe appelle donc à dépasser les oppositions individu/collectif, comme l'individu est partie du collectif, mais que le collectif est aussi dans l'individu, ou même culture/nature car la culture fait partie de la nature et que la nature est également comprise dans la culture.
Récursivité
Selon Morin, il existe également des processus récursifs, c'est-à-dire des processus qui s'alimentent eux-mêmes. Par exemple, un individu est à la fois un produit et un producteur du système. Il porte en lui la culture, les idées, les savoirs, le langage qui lui ont été inculqués, mais est également un producteur de cette culture: il influence et crée de nouvelles idées qui transforment la société.
Les systèmes sont donc vivants et leurs résultats sont également les éléments qui les initient. Par exemple, évaluer un programme ou un projet, c'est également agir sur ce programme ou ce projet.
La notion d'incertitude
En plus de ces principes, la pensée complexe engage aussi à accepter le désordre qui découle de la complexité du monde. La pensée complexe nous permet d'affronter les incertitudes qui qualifient notre monde, tant notre expérience personnelle, que notre expérience organisationnelle ou encore sociale.
La stratégie plutôt que la tactique
Le pari
L'autocritique, l'apprentissage stratégique
Sources
- Edgar Morin. La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité, dans Revue internationale de systémique, vol. 9, n° 2, 1995.
- Edgar Morin. Le défi de la complexité, USI Events, https://www.youtube.com/watch?v=6UT57Jm371w&ab_channel=USIEvents