Complexité

De Niska/Accolades
Edgar Morin, philosophe et sociologue français. Photo issue de Onpassealacte! - CC BY-SA 4.0
Edgar Morin, philosophe et sociologue français. Photo issue de Onpassealacte! - CC BY-SA 4.0

La complexité est un concept philosophique travaillé et popularisé par le sociologue et philosophe français Edgar Morin. La pensée complexe qui en découle est utilisée tant en science qu'en management et est une clé essentielle pour comprendre et avoir un impact dans le monde actuel.

« Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin élémentaire du mot "complexus", "ce qui est tissé ensemble". [...] Le vrai problème (de réforme de pensée) c'est que nous avons trop bien appris à séparer. [...] La connaissance doit avoir aujourd’hui des instruments, des concepts fondamentaux qui permettront de relier.[1] »

La pensée complexe appelle donc à relier plutôt que de diviser et à accepter la contradiction et l'incertitude. En ce sens, elle s'oppose fermement à une approche de solutionnisme où le monde pourrait être divisé en problématiques auxquelles il faudrait trouver les meilleures solutions.

Systèmes compliqués et systèmes complexes

Dans un système, la complexité s'oppose donc au compliqué de telle manière:

Opposition compliqué et complexe
Système compliqué Système complexe
Reproductible, moyennant les compétences et les ressources Impossible à reproduire exactement
Peut être connu et compris parfaitement à un moment donné Impossible à comprendre ou connaître parfaitement
D'une cause donnée résulte toujours le même effet (prévisible) Une cause donnée n'a pas toujours le même effet (imprévisible)

Pour expliquer la différence entre les deux, on utilise souvent l'image de l'avion et du nuage:

  • L'avion est compliqué, car moyennant les plans et les ressources, on peut reproduire maintes et maintes fois le même avion. De plus, si quelque chose va mal dans l'avion, on peut diagnostiquer précisément quelle pièce du système fait défaut et la remplacer.
  • Le nuage quant à lui est complexe: impossible de le reproduire exactement ou de prévoir son évolution ou ses réactions aux stimuli extérieurs.

Par contre, le système complexe qu'est l'avion peut nous permettre de traverser le nuage complexe.

Les principes de la pensée complexe

Edgar Morin nous invite à développer une pensée complexe pour appréhender le monde et la connaissance. Pour lui, la pensée complexe est:

...une tentative pour aider les gens à comprendre ce qu'ils appellent complexe. Elle nous éclaire sur la connaissance qui est un phénomène, dont nous avons besoin pour prendre des décisions, affronter la vie dans tous les domaines. Car le plus grand risque, dans la vie, c'est de se tromper dans ses choix. C’est pourquoi la pensée complexe elle, lutte contre l'erreur et l'illusion.[2]

La pensée complexe demande de complètement reformater nos manières de penser et d'agir, c'est donc un changmeent de paradigme qu'il faut opérer. Notre culture fait constamment force de cloisonnements, de divisions entre les secteurs, les classes, les savoirs. La pensée complexe demande un reformatage complet de cette culture.

Cette pensée peut être présentée par une série de principes2. Ces principes peuvent être proposés entre deux thématiques:

Les liens et les systèmes

  1. L'irréductibilité
  2. La dialogique
  3. L'hologramme
  4. La récursivité

La notion d'incertitude

  1. L'écologie de l'action
  2. La stratégie plutôt que le programme

Les liens et les systèmes

Comme l'explique Morin, complexité signifie tisser des liens. Il importe donc avant tout de créer des ponts entre les secteurs (intersectorialité) et les disciplines (transdisciplinarité). Il s'agit aussi de travailler le rapport à l'altérité (ce qui est autre, différent de soi), tant individuellement que collectivement.

Ce principe peut faire le pont entre la pensée complexe et l'engagement inclusif, qui est une des cinq composantes de l'impact collectif.

L'irréductibilité

Selon ce principe, le tout est plus qu'une somme de ses parties. Un groupe, par exemple, est plus fort que les individus qui le compose. C'est ce que la théorie des systèmes appelle une émergence.

Pourtant, le tout est également moins que la somme de ses parties. Par exemple, un groupe, par sa culture, sa structure, peut inhiber certaines qualités des individus qui le composent.

Il est donc mal jugé de définir un groupe en fonction de quelques unes de ses parts, mais également de définir un acteur ou un individu en fonction d'une de ses caractéristiques. Un humain n'est pas réductible à son âge, son sexe ou sa classe sociale.

La dialogique

La pensée complexe invite à échapper à la pensée binaire. Cela signifie accepter l'existence de paradoxes. Deux vérités peuvent tout à fait être contraires et vraies en même temps. Morin donne l'exemple de l'électron, qui peut à la fois être une onde et de la matière.

Ainsi, une situation peut être bonne et mauvaise à la fois. Un élément peut à la fois être une force et une faiblesse. Des idées, apparemment opposées, doivent être reliées, mises en dialogue pour avoir une lecture qui respecte la complexité des situations et des enjeux.

L'hologramme

Autre principe proposé par Morin, l'hologramme propose que la partie est contenue dans le tout, mais que le tout est également dans la partie. En biologie, par exemple, l'humain contient l'humanité dans son code génétique, mais l'humanité contient l'humain.

La pensée complexe appelle donc à dépasser les oppositions individu/collectif, comme l'individu est partie du collectif, mais que le collectif est aussi dans l'individu, ou même culture/nature car la culture fait partie de la nature et que la nature est également comprise dans la culture.

Récursivité

Selon Morin, il existe également des processus récursifs, c'est-à-dire des processus qui s'alimentent eux-mêmes. Par exemple, un individu est à la fois un produit et un producteur du système. Il porte en lui la culture, les idées, les savoirs, le langage qui lui ont été inculqués, mais il est également producteur de cette culture: il influence et crée de nouvelles idées qui transforment la société.

Les résultats des systèmes sont également les éléments qui les initient. Dans nos domaines, cela peut notamment signifier qu'évaluer un programme ou un projet, c'est également agir sur ce programme ou ce projet.

La notion d'incertitude

En plus de ces principes, la pensée complexe engage aussi à accepter le désordre qui découle de la complexité. Elle nous permet d'affronter les incertitudes, tant notre expérience personnelle, que notre expérience organisationnelle ou encore sociale.

L'écologie de l'action

Dans un système complexe, chacune de nos actions aura des répercussions qui dépasseront ses intentions. Chaque action entrera dans un monde de relations et d'interactions et échappera au contrôle de celui ou celle qui la produit.

En ce sens, toute décision est un pari qui comporte des risques. Il ne faut donc jamais être certain de nos actions et toujours les remettre en question. De plus, une même action n'aura pas les mêmes résultats à deux moments ou dans deux systèmes différents, peu importe leur niveau de ressemblance.

La stratégie plutôt que le programme

Morin propose également de distinguer la stratégie d'un programme. Alors qu'un programme est un ensemble d'actions prédéfinies à l'avance, la stratégie consiste à « recueillir les informations en cours de route, de se modifier d'elle-même afin d'éviter les catastrophes ».

Ce principe fait écho au besoin d'établir des intentions et des visions fortes, nourries par des stratégies adaptatives et agiles, favorisant l'apprentissage stratégique. Essayer de prévoir trop loin, de se fier à notre idée de ce qui est probable est une erreur dans un monde incertain.

« Attends-toi à l'inattendu » - Edgar Morin

Dans ce même contexte, Morin ramène l'importance de l'intuition dans nos relation au monde et aux autres. Pour lui, l'empathie et la lecture des « mouvements imperceptibles » est absolument nécessaire pour survivre dans la complexité.

Des outils pour considérer la complexité

Ici quelques outils pour faire face aux situations complexes. Loin de l'exhaustivité, il s'agit de suggestions qu'il conviendra d'explorer, d'adapter, de compléter.

Sources

  1. Edgar Morin. La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité, dans Revue internationale de systémique, vol. 9, n° 2, 1995.
  2. Edgar Morin. Le défi de la complexité, USI Events, https://www.youtube.com/watch?v=6UT57Jm371w&ab_channel=USIEvents